Caruaru : "Terre" des paysans sans terre.

C'est l'heure de quitter Olinda, Nathalie et sa famille. Après quinze jours fantastiques, nous reprenons la route direction Caruaru, ville de l'intérieur du Pernambouco. Cette destination est assez inhabituelle pour un touriste lambda. Pour nous, c'est l'opportunité de pouvoir rencontrer un des plus grands mouvements sociaux d'Amérique latine: le mouvement des paysans sans terre. Nous partons un peu au culot car depuis plusieurs jours nous n'arrivons pas à entrer en contact avec ses dirigeants.

Le Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra (MST) ou Mouvement des sans-terre est une organisation populaire bresilienne qui milite pour que les paysans bresiliens ne possédant pas de terre, disposent de terrains pour pouvoir cultiver.
Pour lutter contre l'exode rural massif et accélérer une réforme agraire qu’il ne voyait pas venir, le Mouvement des paysans sans-terre (MST) s’est constitué et a mené, à partir de 1979, des occupations massives de terres, visant particulièrement celles inexploitées, notamment dans le Rio Grande do Sul, l’une des régions les plus touchées par les mouvements de concentration. Profitant de l’ouverture politique opérée à la fin de la dictature, le MST est devenu le mouvement social le plus important d’Amérique latine, se substituant même à l’opposition politique. Mais les tentatives successives de projet de réforme agraire échouent sous le poids de l’oligarchie foncière et militaire qui continue à peser lourd dans l’entourage du pouvoir. Si la nouvelle constitution de 1988 est porteuse d’avancées économiques et sociales en libérant les syndicats et reconnaissant le droit de grève, elle enterre la réforme agraire. L’assemblée nationale constituante renonce à la mention de la « fonction sociale » dans le cas des propriétés agricoles productives et ramène le nombre des exploitations agricoles expropriables (les non productives) de 2,7 millions à 500 000. Finalement en 1999, 250 000 familles ont retrouvé une terre, 15 millions d’hectares ont été expropriés, plusieurs centaines de coopératives agricoles constituées. Dans ces coopératives et dans les campements installés le long des routes ou aux abords des terres qu’ils sont prêts à occuper, les paysans mettent en place une solide organisation populaire et un système d’éducation et d’alphabétisation de la population. Quelques 2000 instituteurs enseignent dans 1000 écoles primaires gérées par les sans-terre.

Source: Le monde diplomatique

Nous débarquons de nuit dans une ville de l'intérieur qui ne respire pas l’opulence. Nous trouvons finalement un hôtel à coté de la rodoviaria pour passer la nuit et verrons le lendemain comment nous envisagerons la suite.

Le jour suivant, nous avons eu des nouvelles du MST. Ils peuvent nous accueillir mais nous ne savons pas trop pour quelle durée, dans quelles conditions...etc
Nous profitons de la journée pour visiter Caruaru avant de rejoindre la campagne.

Caruaru est une ville de de l'Etat du Pernambouc. Il y avait 314 951 habitants en l'an 2010, pour une superficie de 921 kilomètres carrés. C'est la ville la plus peuplée à l'intérieur de l'État, située dans la microzone du Agreste, En raison de son importance culturelle, elle est communément appelée par son peuple comme la capitale do Agreste ou Princesinha do Agreste . La ville est située à 130 kilomètres de Recife et est mondialement connue pour ses festivités de Juin. Les fête de la Saint-Jean durent tout le mois de Juin, et se prolonge parfois en Juillet. Elles sont souvent considérées comme les plus grandes fêtes de la Saint-Jean dans le monde.

Elle est aussi appelée la Capitale du Forró («Capital do forró").

Wikipedia Bresil

Le forró est une musique traditionnelle de la région Nord est du Brésil. C'est aussi le nom de la danse qui l'accompagne.

Les instruments traditionnels du forró sont le triangle, l'accordéon et le zabumba (gros tambour plat), parfois accompagnés d'un pandeiro (sorte de tambourin). La musique est presque toujours accompagnée par le chant des musiciens.

La plupart du temps, les chansons parlent d'amour, le forró étant une forme musicale entraînante et gaie, sur un tempo relativement rapide.

De nombreux orchestres de forró se produisent un peu partout dans le nord-est du Brésil, mais cette musique est également une tradition populaire que l'on voit jouée par des groupes improvisés durant le carnaval par exemple. S'il est typique du nord-est du Brésil, le forró gagne progressivement le reste du pays en suivant les émigrants venant du nord; en particulier des régions de Rio de Janeiro et de São Paulo.

Ce genre musical provient d'un mélange du tambour indien des précolombiens et de l'accordéon des colons européens.

Après cette visite culturelle, nous partons direction le centre de formation Paulo Freire au coeur de l'assentamento Normandia.

Pour nous y rendre, nous demandons notre chemin aux habitants mais il semblerait qu'aucun bus puisse nous emmener à destination. Nous discutons avec deux conducteurs de moto taxi qui proposent de nous y déposer. Arrivés à destination, Emilie qui connaissait le centre leur signale que nous n'étions pas au bon endroit, nous étions au siège du MST à Caruaru. C'est alors qu'un membre du mouvement sort des bureaux. Nous lui expliquons vouloir nous rendre au centre de formation Paulo Freire. Il se propose alors d’affréter une voiture pour nous y emmener. Finalement, ce départ raté nous permet d'apprécier la solidarité et l'organisation bien structurée du mouvement.

Nous arrivons au pôle de formation Paulo Freire situé à une vingtaine de kilomètres du centre ville de Caruaru.

Notre arrivée est un peu chaotique car le centre est en pleine effervescence: le MST reçoit deux groupes en formation politique l'un sur l'éducation, l'autre sur la santé. Nous discutons avec la responsable qu'Emilie connaissait pour lui expliquer notre projet et voir avec elle dans quelles conditions nous pouvons intervenir. Après en avoir référé au service international du mouvement lequel nous a donné son accord* pour notre investigation, nous avons pu établir un programme:

*Le stage réalisé par Emilie en 2008 ainsi que le caractère autonome de notre démarche, nous ont ouvert les portes de ce mouvement. Celui-ci se montre méfiant vis-à-vis des personnes extérieures en raison de mauvaises images véhiculées par les médias ou organisations politiques opposantes.

- le premier jour, nous assistons à une conférence sur la politique et l'éducation en présence d'une centaine d'enseignants spécialisés dans l'éducation en milieu rural. Une des interventions concerne la révolution française, ses valeurs et principes. Cet événement historique (qui n'est autre qu'une révolution de la bourgeoisie pour la bourgeoisie) est souvent pris en exemple pour montrer comment le peuple s'est libéré de l'impérialisme royaliste. Le formateur finira par citer la révolution de 1871, la Commune de Paris ... une révolution du peuple pour le peuple... là, ça a plus de sens!

- le deuxième jour, nous participons à une mistica.

La mistica est une cérémonie racontant des moments de vie des campements et de l'histoire des sans terre. Elle est mise en scène par des militants pour porter les valeurs du mouvement.

- puis, nous visitons un assentamento accompagnés de deux militants du mouvement.

Le troisième jour, nous visitons une coopérative et une école d'assentamento

Tout au long de notre séjour au sein du MST, nous recueillerons des témoignages de dirigeants, paysans, enseignants, musiciens... militants en tout genre pour nous permettre de mieux appréhender le fonctionnement, l'organisation, et les actions menées par le mouvement.

Nous sommes hébergés avec les militants dans un grand dortoir. Ce lieu est pour nous l'occasion de rencontrer et d'échanger avec eux. Romain se retrouve dans le dortoir des chauffeurs où l'ambiance est très graveleuse. Loin d'Emilie, ce sera l'opportunité pour lui de pratiquer le portugais. Emilie se fait de nouvelles relations avec 3 enseignantes adorables qui nous ont invité chez elles lors de notre prochain voyage au Brésil.

Nous tissons des liens avec Marco, un musicien du mouvement à qui nous proposons l'enregistrement d'une de ses compositions.

La vie quotidienne est très rythmée. A 6h, les gens commencent à se réveiller. Les groupes en charge de l'organisation de la mistica se réunissent pour finaliser leur préparation. A 7h le petit déjeuner est servi au réfectoire. A 8h la mistica commence puis s'en suivent les cours. A 10h, pause pour prendre le "lanche". A 12H30, repas du midi suivi de la sieste. A 14h, les cours reprennent jusqu'à 16h pour le second "lanche" de la journée, puis, le diner à 18H30. Chaque reprise de cours est introduite par une séance musicale. Marco entre en scène et nous joue les classiques de la musique populaire brésilienne et chants révolutionnaires du mouvement. Les soirées sont animées par des projections de films, des débats, lectures de textes politiques ... etc

Ces trois jours seront d'une rare intensité et c'est le cœur lourd que nous quittons le centre.

Nous avons rencontré des personnes exceptionnelles, ouvertes d'esprit, qui s'investissent quotidiennement pour la défense de leurs idéaux.

La route vers Salvador sera propice au vagabondage de l'esprit ...

Comments

[Pascale BH]

Bravo et encore merci de nous faire partager une partie de votre voyage riche en expériences et en rencontres. Que de choses vous allez avoir à nous raconter dans quelques jours.... Le temps passe finalement très vite!! Il ne vous restera plus qu'à faire un livre à votre retour. Avez- vous appris à danser le forro? Cela me fait plaisir de voir des photos avec Romain sans cigarette!!!! Plein de bises et à bientôt.